Au pays du Yéti, octobre 2000
Depuis longtemps, les vols commerciaux ne présentent plus pour le passager ordinaire qu'un aspect routinier et seuls l'importance du retard à l'arrivée ou celui des turbulences rencontrées sur le parcours peuvent encore amener certains à oser en parler lors des sessions bar du Versoud. Encore est-il de bon ton dans ce cas de prendre l'air blasé de celui qui en a vu bien d'autres et que plus rien dans le domaine de l'aéronautique ne peut vraiment étonner !
Et pourtant, en cherchant bien sur la planète, on peut encore faire des vols qui sortent de l'ordinaire et trouver quelques compagnies irréductibles qui résistent toujours à toute norme et ne se sont pas encore pliées à "l'aeronautici juris imperium" (1)
Yeti Airlines est de celles-là, comme sa consoeur Buddha Air. Avec des noms comme ceux-là, la plupart d'entre vous auront déjà deviné qu'il ne s'agit pas de compagnies sud américaines !
Donc, cap sur Katmandou. Pour les hippies, c'est trop tard. C'était dans les années 70. Par contre, vous pouvez, si le cœur vous en dit, utiliser l'une de ces compagnies pour vous rendre dans des bourgades bien isolées qui servent généralement de point de départ à des treks ou des expéditions vers des sommets mythiques (Everest, Lhotse, Ama Dablan...).
Pour nous, c'était Lukla, charmant village perdu dans les montagnes à 2800 m. Et comme c'était 40 minutes de vol ou 10 jours de marche depuis Katmandou, on s'est malgré tout résolus à utiliser les services de Yeti Airlines.
Evidemment, ca peut commencer par 2 jours d'attente parce que, comme le vol se fait à vue et qu'il y a pas mal de cols ou sommets à franchir, il vaut mieux un peu de visibilité.
Donc, de préférence, on vous convoque au terrain de Katmandou sur le coup de 6h du matin puisqu'à cette heure la météo est supposée meilleure. On vous enfourne ensuite avec 15 passagers dans un Twin Otter qui a manifestement beaucoup vécu et vous essayez de caser votre sac à dos sur vos genoux. On décolle, on monte. Evidemment, la visibilité n'est pas terrible mais c'est surtout dû à l'opacité et à la crasse des hublots. Côté cockpit, c'est meilleur ; ils doivent changer la verrière de temps en temps ou bien la nettoyer.
Donc on monte, on stabilise et on commence alors à s'enfiler dans des vallées étroites après avoir sauté quelques cols à 500 ft sol max. Mais comme les 2 pilotes sont manifestement en train de se raconter leur week end, on peut penser que tout va bien.
Descente. Vers quoi ? J'ai beau regarder par la verrière du pilote je ne vois rien devant qui pourrait ressembler à un bout de terrain plat et encore moins à une piste.
Réduction moteurs, plein petit pas. Vers quoi, nom d'un yéti ? Manifestement, tout droit vers une paroi rocheuse bien raide qui doit culminer à 4000 m. De toutes façons, je ne vois plus rien devant puisque l'avion est au soleil et que l'on rentre dans un cône d'ombre. Apparemment, le pilote non plus qui met désespérément sa main en visière pour tenter d'apercevoir quelque chose.
Arrondi, assiette de montée, remise de puissance. Alors là, on découvre soudainement avec angoisse ce sur quoi le pilote prétend atterrir. Imaginez la même piste qu'à Huez, avec la même pente, mais en terre, plus étroite, pas plus longue et avec au bout un joli mur de pierres au cas où la paroi rocheuse ne suffirait pas à vous arrêter.
On se pose : beaucoup de poussière, beaucoup de secousses et au bout de la piste, un petit coup de moteur gauche pour garer l'avion sur une minuscule plate-forme qui peut en contenir deux. Le Twin Otter manœuvre au milieu d'une foule de gens qui n'ont manifestement rien à faire là pendant qu'un officiel s'époumone vainement dans un sifflet à roulette pour essayer de faire régner un peu d'ordre. J'ignore combien de personnes sont découpées chaque année par les hélices.
Parce que, bien entendu, le pilote n'arrête qu'un seul moteur. Les passagers sont priés de dégager rapidement et les suivants d'embarquer encore plus vite. Notez quand même que le copilote met ces quelques instants à profit pour descendre, donner des grands coups de pied dans les pneus pour voir s’ils ont bien résisté aux cailloux de la piste. C’est ça, les pros !
Pour le décollage, c'est comme à Huez :
1 - les passagers retiennent leur souffle,
2 - l’avion plonge en cahotant vers le bas de la piste qui finit brutalement dans le vide,
3 - les passagers respirent et retrouvent la parole.
Evidemment, il y a encore un peu de suspense. Pas tant à cause de la piste bien courte que parce qu'il y a un autre avion en finale juste en face. Mais enfin ça passe et vu l'impossibilité de mettre plus de 2 avions sur le parking on comprend mieux la précipitation que met le pilote à repartir au plus vite.
Voilà, c'est tous les jours comme ça à Lukla. Enfin, quand il fait beau !
Si vous allez au Népal, essayez donc ! Vous pourrez ensuite prendre un pose avantageuse au bar du Versoud lorsque vous raconterez vos exploits de passager !
(1) "La dictature des règlements aéronautiques" pour les ignares (en latin d'arrière cuisine).
N.B : Il paraît que, depuis quelques années, la piste est maintenant revêtue ! Pas sûr que ça améliore radicalement la sécurité des vols...
René CLEMENT - Octobre 2000