Rhodes et la Grèce, mai 1998

En fait, ce n'est pas exactement ce que nous avions prévu puisque la Turquie et Istanbul étaient notre destination initiale.

Tout avait pourtant bien commencé. Le Cessna 172 était en ordre de marche, la révision des 50 heures faite, la documentation disponible, les pilotes en vacances et, miracle, on avait même reçu l’autorisation de survol des autorités Turques. Un départ le vendredi 1er mai paraissait donc assuré.

Mais depuis longtemps, nous avons pu vérifier qu’il nous suffit de programmer un vol de quelques jours pour que le mauvais temps s’installe. C’est donc sans surprise que, le 1er mai, on découvre une météo détestable et des prévisions pires pour les jours suivants.

Le 2 mai ce n’est pas beaucoup mieux et même si la météo de Lyon est plutôt décourageante, on décide de partir quand même pour échapper aux sarcasmes ambiants. D’ailleurs, après Cannes, c’est CAVOK paraît-il !

Évidemment, il faut déjà y arriver. Après avoir hésité entre la vallée du Rhône et la ligne droite, un appel passé aux parachutistes de Gap nous apprend que là-bas il fait beau !

Donc c’est parti ! Photos, caméscopes immortalisent cet instant mémorable !

Un «bon voyage » narquois du contrôleur et puis, presque tout de suite, ça devient bouché. On croit apercevoir Gap où manifestement les parachutistes n’ont pas du beau temps la même définition que nous ! Mais enfin il y a du vrai dans ce qu’ils disent car, au niveau 115, tout est bleu et comme on doit pouvoir redescendre plus loin on insiste.

Effectivement, tout se dégage à Nice et jusqu'à Bastia c’est un vol de routine y compris l’essence et la douane. Par contre, côté météo le verdict est sans appel :

« Si vous ne partez pas d’ici très vite vous êtes là pour 3 jours compte tenu de ce qui se prépare et tâchez d’aller le plus au sud possible ».

On ne s’attarde donc pas sur les splendeurs de l’aéroport de Bastia et c’est immédiatement un décollage vers Elbe puis Rome et Naples. Elbe passe sans problème et on décide d’éviter Rome pour aller le plus loin possible. Contact avec Rome information !

Connaissez-vous la route A1 ?
C’est en tout cas celle que le contrôle nous demande de prendre pour éviter Rome. Instant de stupeur dans l’avion où la route A1 est rigoureusement inconnue. Comme on ne veut pas avoir l’air trop stupide, on annonce au contrôleur qu’on va la suivre et qu’on le rappelle.

Toute la documentation est sortie dans l’avion et examinée (plutôt fébrilement ) mais la route A1 reste mystérieuse. Pendant ce temps là, le plafond descend sérieusement et nous avec.

C’est alors que Christian se rappelle avoir lu dans le Sérabian, du temps où il préparait la QRRI l’ancêtre du FCL.055, une description du trajet entre Rome et Naples. Contre toute attente, on a emmené le Sérabian (on se demande encore pourquoi ! ). Et là, nouveau miracle, le trajet de la route A1 s’étale sur une page au titre des exercices pratiques de langue anglaise. C’est donc après un travail intensif de report des points (A1, A2 ....) sur la carte au 1/500 000 que d’un ton très professionnel on rappelle le contrôleur pour lui annoncer nos estimés aux points de reports. En fait, la route A1 est la route maritime qui fait passer à 1000 ft/mer très au large de la côte et c’est plusieurs jours après seulement que nous la découvrirons bien cachée en petits caractères dans un coin de la carte ELO.

Côté météo, pendant ce temps là, ça ne s’arrange pas et il y a longtemps qu’on n’arrive plus à voir la côte. Par contre, compte tenu de notre niveau de vol, on commence à très bien voir la surface de l’eau.

Comme ce n’est pas encore assez compliqué, le contrôle nous demande des estimés pour des points exotiques. Mais là, on ne se laisse plus avoir et ces points mythiques sont découverts sans problème, ou presque, sur la carte ELO.

De toutes façons, on commence à être trop bas et trop loin pour continuer avec Rome et on va tenter de retrouver la côte et de la suivre jusqu'à Naples.

Il commence à pleuvoir pour tout arranger et le contrôleur militaire de Grazziani qui doit sentir une certaine inquiétude dans la voix du pilote, propose de l’aider au radar et lui demande de monter pour cela à 5000 ft. Nous, on voudrait bien, mais compte tenu du plafond, on décline poliment !

Naples enfin !
Malgré tout, on progresse vers le sud et on rentre les points d’entrée de Naples au GPS. De toutes façons, ça ne sert à rien car vu le temps, il ne peut être question d’arriver autrement que par la mer. Après un temps interminable, on voit avec soulagement le point d’entrée qui finit par émerger du gris dans lequel nous sommes (merci M.Garmin !) puis la piste. Comme un fait exprès, il y a un trafic fou à Naples avec plein de gros porteurs qui sont tous dans des percées IFR délicates (on comprend pourquoi) plus un contrôleur qui ne s’attendait pas à voir arriver un VFR par ce temps, même sous plan de vol.

Donc on tourne en rond : une fois, deux fois, trois fois... mais on s’en moque, on voit la piste et on a du pétrole !

Comme tout arrive, l’autorisation d’atterrir aussi. Amerrir conviendrait probablement mieux vu la pluie qui tombe et l’état de la piste. Compte tenu de l’absence d’essuie-glaces, l’atterrissage laisse à désirer mais la visibilité réduite a dû cacher ce chef-d’œuvre au contrôleur.

On dégage discrètement, on passe sur la fréquence sol et là, bien sûr, la radio nous lâche. Ce cas d’école n’étant manifestement pas prévu dans les procédures, on décide de s’échouer (c’est le mot qui convient) au bord d’une bretelle en attendant. Après 10 minutes de bidouillages, une inspiration subite nous conduit à éteindre puis rallumer le poste qui retrouve miraculeusement sa voix. Le contrôle nous guide et nous mène droit au milieu du parking principal où il nous abandonne en nous demandant d’attendre le «follow-me». Évidemment, on empêche un peu le roulage d’un gros 747 et conscient de l’embouteillage que l’on crée, le contrôle finit quand même par nous donner un poste. On s’arrête, on coupe tout et là, on nous fait rapidement comprendre que l’on a pris la place du 757 de British Airways.

On se pousse un peu et on débarque. C’est par des temps pareils que l’on apprécie l’aile haute même si son niveau un peu bas conduit le pilote fatigué à la heurter un peu violemment de la tête.

Naples - Corfou
Ça, c’était prévu le lendemain et le bleu du ciel au réveil nous rend très optimistes. On se précipite à l’aéroport, on effectue le parcours du combattant nécessaire pour régler les formalités diverses et on s’installe dans l’avion pendant que, par acquit de conscience, l’un de nous va quand même voir la météo. Et là, il apparaît que l’on a tout faux. S’il fait beau à Naples, ailleurs, c’est mauvais et plus spécialement en Grèce ! Refroidis par la journée d’hier, on n’insiste pas. Nouveau circuit administratif en sens inverse cette fois et on rentre à l’hôtel. Visite de Pompéi, etc.

Le lendemain, le ciel n’est plus bleu du tout et les prévisions pas bien meilleures. Mais comme on a tout visité, on décide de partir quand même surtout que finalement, vu du sol, ça n’a pas l’air si mauvais. Quoique en altitude il semble y avoir du vent...

Décollage, virage sur Capri, photos puis cap sur Brindisi.

Et à nouveau, une masse nuageuse barre l’horizon. Compte tenu du relief, il n’est pas question de passer dessous. Quant à passer par dessus, eh bien, on attendra d’avoir un avion pressurisé. Donc, on zigzague entre les masses nuageuses et on progresse vers Brindisi en se demandant régulièrement s’il ne vaudrait pas mieux faire demi-tour.

Le vent progresse aussi et nettement plus vite que nous : le GPS indique une vitesse sol de 162 Kts, record à battre pour le Cessna ! Évidemment, si ça turbule un peu, cela offre au moins l’avantage de sortir plus vite de cette zone peu sympathique et agitée.

La météo s’améliore et on survole Brindisi où tout semble annoncer une traversée maritime sans histoire jusqu'à Corfou. Ça débute d’ailleurs bien et l’on croise plusieurs ferries qui font la même route. On plaint un peu leurs passagers car la mer est agitée. Assez rapidement toutefois on pense qu’on serait peut-être mieux à bord des ferries que dans l’avion compte tenu de ce que l’on découvre en approchant de Corfou.

L’ile est complètement prise dans les nuages et un très fort vent du sud n’arrange rien !

Instruits par l’expérience de Naples, on décide de faire une arrivée maritime basse hauteur par le nord qui ne correspond pas du tout aux procédures en vigueur. Mais le contrôleur est sympa et comprend la situation. Compte tenu du vent, l’atterrissage n’est pas meilleur qu’à Naples et Serge renierait sûrement ses élèves. Bon, on est posés et, à l’unanimité, on décide de s’en tenir là pour aujourd’hui.

Corfou - Marathon
Nouveau départ le lendemain après une courte visite de la ville. La météo nous indique que ce n’est pas fameux jusque vers Patras. Qu’à cela ne tienne, on fera encore du maritime basse hauteur ! Mais c’est sans compter avec les militaires qui ce jour-là font de l’exercice et nous imposent une route qui, bien entendu, passe en plein sur le relief totalement bouché.

On y va quand même, le contrôle de Corfou nous ayant laissé entendre que tout était négociable avec les militaires. Éffectivement, ils se montrent compréhensifs et nous laissent obliquer sur le golfe de Corinthe où là on trouve enfin du-beau-temps.

Alors, on décide d’en profiter et de faire un peu de tourisme aérien. Une visite à Delphes et à la Pythie s’impose. Une navigation savante nous amène droit sur le site et les appareils photos sont mis en batterie.

Hélas, aucune photo ne sera jamais prise, le Cessna jugeant préférable et sans prévenir de se cabrer brutalement de 30 degrés pour la seconde suivante piquer de 60 ! On a dû un peu oublier qu’il y a un bon vent et passer dans un gros rouleau sous le relief ! Brillamment, le pilote récupère l’avion, les passagers leurs esprits, puis tout ce qui traîne dans la cabine pour finir par un rangement général de l’avion.

En tout cas, on s’échappe de là en vitesse et on reprend sagement et en silence la route du canal de Corinthe qu’on décide, devenus craintifs, d’observer de haut. (Au retour on s’enhardira et on descendra le voir de plus près.)

On est maintenant dans la zone d’Athènes dont le contrôle nous envoie gentiment nous poser à Marathon, l’accès d’Athènes étant interdit à l’aviation légère.

Marathon - Rhodes
Mais que peut-on bien faire à Marathon qui, comme chacun sait, est à 42 km d’Athènes ? Le plein bien sûr ! Nouvelle erreur de notre part : c’est fermé le mardi. L’avenir nous apprendra d’ailleurs que les autres jours ce n’est pas beaucoup mieux !

En bref, Marathon c’est un marécage d’où émergent la piste et toute l’aviation légère de la Grèce soient 55 avions dont une petite moitié paraît en ordre de marche, le reste comportant beaucoup de pneus crevés, de moteurs manquants ou d’ailes repliées !

Quoi qu’il en soit, l’ambiance est très détendue ce qui amène le contrôleur à descendre prendre le café avec ses collègues du bas. Heureusement, le trafic est plutôt calme et au moins nous saurons lors d’un prochain passage pourquoi le contrôleur tarde à répondre à notre annonce...

Comme il nous reste pas mal d’essence, on décide, après quelques savants calculs de consommation, de tenter Rhodes en direct conseillés par 2 pilotes grecs qui sont en train de désosser un bimoteur sur le parking.

C’est reparti, on passe Mykonos dont le contrôle nous apprend qu’ils ont de l’essence contrairement aux indications du Jeppesen. Préférant assurer, on se pose, laborieusement, avec un vent plein travers de 14 kt. Le décollage n’est pas plus facile mais à partir de là et jusqu'à Rhodes on est enfin récompensés : le survol des îles Grecques et de Santorin en particulier est tout a fait fabuleux. Evidemment, il y a beaucoup d’eau mais le Cessna marche bien...

On en profite, on traîne un peu en route et c’est par un beau coucher de soleil qu’on se pose à Rhodes sur un gigantesque aéroport complètement désert.

Bien sûr, on pourrait vous raconter la suite, comment, compte tenu d’un vent excédant les limitations de l’avion, on n’est pas allés à Izmir pourtant tout proche, comment les militaires nous ont interdit la traversée nord de la Grèce, comment, au cours d’une traversée agitée des Apennins, nous avons appris que Rome Urbe, notre destination, était fermée (orages ?) et comment, en compensation, nous avons découvert la charmante ville de Perugia !

Mais ceci est une autre histoire que nous vous raconterons peut-être une autre fois !

René CLÉMENT
Photos La Triade