L'Express Grenoble-Venise ou la Grande Frustration
Ce vol a eu lieu le 9 octobre 1999 avec le DR 400 – 180 CV immatriculé F-GMKJ qui n'est plus au club aujourd'hui. La durée totale du vol a été de 6 heures et 8 minutes.
Comme toujours, il s’agissait d’un vol méticuleusement préparé et de longue date ce qui, vers 9 heures, un beau matin d’octobre au Versoud, donnait à peu près le dialogue suivant :
«Alors, on ne va plus à Venise ?» ( mine déconfite de l’interlocuteur)
«Ben non, il faut qu’on soit rentrés ce soir !» (mine tout aussi déconfite du 2ème interlocuteur) «C’est dommage avec une météo pareille ! On fait quoi alors ?»
«On peut toujours essayer Milan, j’ai passé un plan de vol à tout hasard, et puis note qu’à la limite on peut peut-être faire Venise aller retour dans la journée !» (interlocuteur disant n’importe quoi pour voir la réaction des autres)
«C’est pas évident parce que la météo en Italie n'est pas géniale : brume, 4000 m de visibilité à Milan et c’est pire à Venise !»
Et alors là, se place la réponse historique qui emporte la décision :
«Y doit pas y avoir de problème parce que hier, à St Geoirs, il m’ont dit que le brouillard dans le secteur Lyon - Grenoble se levait vers 10/11 heures, donc on n’aura pas de problèmes en arrivant à Milan !»
À vrai dire, on n’a toujours pas bien compris en quoi les observations de la météo de St Geoirs pouvaient concerner en quoi que ce soit la situation à Milan situé à 300 Km de là et au-delà des Alpes mais toujours est-il que c’est ainsi qu’on est partis pour Venise !
Comme on n’est pas tout à fait inorganisés, on avait quand même passé un plan de vol jusqu'à Milan plus, bien sûr, la sacro sainte demande douanière au Préfet dont on connaît l’importance qu’il y attache !
Pleins faits, avion vérifié, trois pilotes plus un passager, quatre (je dis bien quatre) GPS à bord, décollage en 23 et cap vers le Lautaret ! Une remarque quand même à l’attention des narquois qui seraient tentés de ricaner au vu de la présence de 4 GPS pour 3 pilotes : il y a quand même 2 GPS qui sont tombés en panne durant le vol !
Jusqu’au Lautaret, vous connaissez, on n’en parlera donc pas. Puis, c’est Suse et bientôt Turin avec au passage le monastère de la Sagrada de San Michele. Beau temps, ciel clair...
Évidemment, et sans surprise, c’est à partir de Turin que tout s’est gâté. Le Pô a manifestement décidé ce jour là de dégager une brume intense qui occupe tout l’espace entre 0 et 5000 ft et comme Milan info nous rappelle que le VFR dans sa zone (immense) se situe en dessous de 2000 ft, il faut bien plonger dedans. On voit quand même un peu le sol pour dire vrai, mais de moins en moins au fur et à mesure que l’on approche de Milan Linate ! Une certaine tension commence à régner dans l’avion, ce qui permet alors d’entendre le dialogue surréaliste suivant :
Le pilote : « C’est franchement mauvais, je vais faire demi tour !»
Autre pilote (à l’arrière) : «Tu sais, Milan Twr ne nous a pas dit qu’on ne pouvait pas arriver chez eux !»
Cette argumentation imparable ayant semble-t-il convaincu tout le monde, on a donc continué. Mieux même, on a trouvé le premier point d’entrée, un superbe croisement d’autoroutes (merçi au GPS).
À partir de là toutefois, on a commencé à tourner en rond autour de ce carrefour, Milan estimant que la visibilité au sol n’était pas suffisante pour continuer et atterrir. Donc, on tourne, mais on tourne en gardant un œil vigilant sur une gigantesque antenne qui a le mauvais goût d’être située à côté du point d’entrée et d’être plus haute que nous !
Vingt minutes plus tard, on tourne toujours et on commence à bien connaître l’endroit. Bien entendu, c’est au moment où l’on demande à Milan Twr si l’on peut abandonner et poursuivre sur Bergame qu’il nous donne l’autorisation d’atterrir. On se sent alors incapable de décrire la poésie des éclairages somptueux du seuil de piste (blancs, rouges verts, flashes...) par temps de brume ! Par contre, on est beaucoup plus capables d’apprécier le bien fondé du raisonnement effectué à partir des observations météo de la veille à St Geoirs (cf. plus haut). Il est onze heures trente et la visibilité est toujours aussi mauvaise !
On refait les pleins (important, si l’on doit encore tourner en rond), on dépose un plan de vol pour Venise, on paie les taxes (chères) et on attend l’autorisation du contrôle pour mettre en route. Comme ça menace de durer puisqu’il estime la visibilité trop faible, on lui explique que l’on a bien réussi à atterrir il y a une heure et que la météo n’est pas pire maintenant ! Apparemment, l’argument porte et l’on repart.
A partir de là, c’est devenu franchement pénible ! S’il n’y avait que la brume !
En effet l’examen, même sommaire, d’une carte d’Italie (ce qu’on n’avait pas fait) montre que pour aller de Milan à Venise, on passe successivement en 1heure 15 de vol dans les zones de Milan, Bergame, Brescia, Verone, Vicenza, Padoue et Venise ! Donc, on n’arrête pas de changer de fréquence, de suivre les déroutements successifs que les divers contrôles imposent et, toutes les 10 minutes environ, de leur indiquer où l’on se trouve ! Manifestement, ces gens là n’aiment pas beaucoup le VFR ! Comme en plus on n’y voit pas grand chose, la tension monte vite à bord.
Ah, au fait, on ne vous a jamais décrit notre organisation du travail à bord : D’abord, et à l’avant, on a un pilote qui généralement fait ce qu’il faut pour maintenir correctement l’avion en vol, voire le poser. À sa droite, se trouve un autre pilote qui est chargé de la navigation et de se débattre avec les cartes et GPS. Accessoirement, il fait aussi la radio si le pilote en titre est en délicatesse avec l’anglais. À l’arrière, se trouve un 3ème pilote qui, de loin, a la charge de travail la plus importante puisqu’il passe son temps à critiquer ce que font ceux de devant. Ça donne à peu près ceci : « C’est exprès que les volets ne sont pas rentrés ? » ou bien « Pour moi on est trop à droite de 20 !» et encore »T’as entendu, le contrôle t’appelle ! »
Occasionnellement, on a aussi un jeune passager (futur pilote) qui est là pour s’imprégner de l’art et la manière de piloter proprement un avion et de mener sérieusement une navigation. En échange de quoi, il est plus particulièrement chargé de trouver la documentation nécessaire dans les classeurs quand les pilotes en ont besoin (en vol), de nettoyer la verrière (au sol) et de prendre des photos (en vol et au sol).
Mais revenons au sujet, d’abord pour arriver à Venise et ensuite à la première conclusion.
Pour aboutir à Venise, c’est devenu de plus en plus laborieux. D’abord, il y a plein de points de report (même quand le GPS dit qu’on est dessus, on ne les voit quasiment pas, vu la brume) et enfin, pour aboutir à l’aérodrome de Venise San Nicolo (piste en herbe située au Lido), il faut franchir la lagune à 1000 ft sol. Tout est gris, la mer, le ciel et la distinction entre les deux est assez incertaine. A priori, on situe toujours la mer sous le plancher de l’avion, ce qu’une observation attentive de l’horizon artificiel permet de confirmer régulièrement. Venise radar, très sympa, nous fait un petit guidage radar qui nous emmène sans problème sur le Lido où, merveille, la visibilité redevient acceptable. On se pose.
Là, une première conclusion s’impose : Ce n’est pas aujourd’hui que l’on visitera Venise car il est 14h30 et il faut songer au retour. On s’octroie quand même une heure pour regarder Venise (de loin) et les vaporetto qui accostent (de près), mais aussi pour déguster les sandwiches les plus chers de l’histoire dans un des nombreux palaces du Lido.
Conclusion N° 2 : Si l’envie vous prend d’aller à Venise, même sans brouillard, ne passez pas par la plaine du Pô.
Compte tenu de l’heure avancée, on décide de rentrer directement au Versoud et cette fois en passant par le nord c’est-à-dire en suivant la route passant par le lac de Garde, Lugano, le mont Rose, Aoste, le petit St Bernard. C’est beaucoup plus tranquille. D’abord on est au-dessus du brouillard, à l’écart des TMA, CTR....et au sein d’un magnifique paysage de montagnes (le Mont Rose, le Cervin...). De plus, on n’intéresse manifestement plus beaucoup le contrôle. Un seul inconvénient, mais de taille : on est restés, à sa demande, sous contrôle de Milan information pendant environ 2 heures et ils n’ont jamais arrêté de parler ! Aï, Madonna !
Un petit truc qui, après Aoste, vous changera de l’itinéraire de retour classique par le col de la Madeleine : après le petit St Bernard, tournez à droite. Tout en descendant régulièrement, vous passez à côté du Roignais (3000 m) puis au-dessus du lac de Roselend. C’est un joli trajet qui aboutit directement à Albertville. C’est d’ailleurs là que l’on a retrouvé le plafond bas qui ce soir là recouvrait le Grésivaudan. Mais alors là, on s’en moquait car on connaît le trajet !
Pensez donc, quand il fait vraiment mauvais au Versoud, on fait un petit vol sur Albertville pour rendre visite à la sympathique serveuse du bar.
Conclusion N°3 : Si vous allez à Venise passez par Albertville (pas pour la serveuse, bien sûr), le petit St Bernard, Aoste, puis la partie montagneuse située au nord du Pô jusqu'à Vicenza, puis Venise. Evidemment, ce trajet suppose un plafond météo très élevé, l’absence de vent et un avion susceptible de grimper. Mais enfin on suppose que si vous allez un jour à Venise, ce sera par beau temps, n’est-ce pas ?
Ah oui, j’oubliais la conclusion principale : Si vous allez à Venise, prévoyez 2 jours, 3 jours,...8 jours. Vous éviterez ainsi d’aller dans une des plus merveilleuses villes de la planète sans en rien voir et de refaire ainsi après nous un des vols les plus frustrants de l’histoire du Versoud. Et pourtant, quel beau vol c’était!
Ciao et à bientôt !!
René Clément
Photos La Triade