Un témoignage de Sophie Bonneville : l'Être humain n'est pas, dit-on, un "oiseau de nuit", voire !!
Car à l’ACD, les mardis et jeudis soirs en période hivernale, lorsque le plafond (9000ft minimum) le permet et qu’un terrain de déroutement sûr a pu être fixé, nous sommes une trentaine de pilotes à nous élancer dans un ciel souvent étoilé pour goûter un plaisir un peu égoïste (mais souvent partagé) et surtout unique ! Rien n'est comparable au vol de nuit, source d'un bonheur intense et particulier, où tout est silence, douceur et sérénité.
Mais avant de nous envoler, des tâches préparatoires sont indispensables. Il faut d’abord préparer la piste 04 dure (obligatoire pour le vol de nuit, sauf atterrissage d’urgence) dès qu'elle se libère pour notre joyeuse activité nocturne : on sort la camionnette de l’atelier, on prend la platine électronique d’allumage des feux de piste, et lentement (deux personnes sont nécessaires à cette tâche) on procède à leur mise en route (feux blancs répartis des deux côtés le long de la piste, rouges et verts aux seuils 04 et 22 et bleus pour les taxiways Écho 2 et Écho 3). Cet exercice est très amusant, quelle joie de rouler seuls sur la piste enfin libre et de procéder à la mise en place de notre terrain de jeu !
Nos avions attendent sagement sur le parking, pleins carburant anticipés et faits. Ça fait rêver ! Nous profitons de la pause légale de 30 minutes imposée au contrôle pour nous équiper (bonnet, gants, gilet jaune ou orange et surtout… lampe frontale et téléphone portable, outils indispensables pour effectuer une pré-vol en bonne et due forme !) et contrôler tranquillement nos machines.
Le club house se transforme lentement, l’éclairage disparaît en partie pour habituer nos yeux à l'obscurité. Aucun doute, l’ACD vol de nuit n’a plus rien à voir avec l’ACD vol de jour ! Nous échangeons sereinement entre pilotes, comme si le temps était, quelque part, suspendu…
Nos avions prêts, nous procédons au démarrage moteur en ayant au préalable prévenu nos petits camarades avec deux appels de phare, rien n’est laissé au hasard en termes de sécurité.
Chauffe moteur. Cela prend parfois un peu de temps, puis, après autorisation du contrôle, nous roulons doucement, tous phares allumés, sur la ligne jaune jusqu’en Écho 1. Essais moteur phares éteints, pour ne pas gêner les avions qui atterrissent.
Alignement. L’adrénaline monte, le plaisir aussi… Décollage sur l’axe. Nous voilà dans un ciel que la lune éclaire souvent partiellement, voire totalement, respect indispensable des paramètres, la vent arrière nous laisse le temps d’admirer les lumières de Grenoble, le flux stressé des autos que nous dominons avec une certaine fierté !
Repérage de la piste 04 (notre balisage ne ressemble pas tout à fait à celui de Saint-Geoirs !), base, concentration sur le PAPI, notre bouée de sauvetage du soir, qui nous aide bien avant de retrouver en toute fin de courte finale (grâce à nos phares) le peigne et l’axe de la 04 ! Certes, nous avons tout de même appris lors de notre qualif VDN à nous poser sans phares ni PAPI et croyez-nous, ça marche aussi !
Le tour de piste c’est bien, mais un local Nord, ou un vol vers Saint-Geoirs, ou enfin une longue nav, constituent des escapades inoubliables, où notre vie du jour s’efface pour laisser place à une belle parenthèse de nuit.
Les vols se suivent sans pause car le temps file : nous sommes contraints à une fin de période de jeu à 21.00 (22.00 pour les longues navs). Le ballet des avions en tour de piste est beau à voir, on ne s’en lasse pas !
Fin de partie, la camionnette du club roule à nouveau pour éteindre une par une les balises, puis rentre se garer à l’atelier. Il fait nuit à nouveau sur notre terrain de jeu…
Vivement mardi ou jeudi prochain !
Sophie Bonneville
Un témoignage de Bernard Moro : Flak au-dessus du Mont d'Or
J’étais à Pontarlier à l'époque. Depuis l'automne je m'entraînais au vol de nuit, en double commande d'abord, puis en solo après mon lâcher. Il n'y avait pas d'éclairage sur la piste. L'hiver, la plupart du temps, elle contrastait en noir sur le fond d'herbe couverte de neige, ou alors elle était très distincte, bien lisse, plane et blanche sous l'avion. C'est la veille du Jour de l'An 98-99. Il fait beau, cru comme on dit là-bas, genre moins quinze, clair de lune, pas un souffle. J'ai des amis en visite, mais j'ai prévenu que j'avais un rendez-vous important cette nuit-là. À 23h30 je me présente à l'aérodrome, au club house. Les pilotes de l'aéroclub se préparent à fêter le passage de l'année, grande table, beau buffet, musique, champagne… Je salue tout le monde mais ils sont au courant, mon plan est autre.
Dans la mince couche de neige, je sors sur le tarmac vers le hangar, l'ouvre comme on ouvre un cadeau de Noël, et contemple le Régent rouge qui m'attend. On est d'accord, c'est le moment de s'envoyer en l'air. Avec précaution pour ne pas glisser, je le tire dehors, enlève la béquille et la mets à l'abri. Prévol attentive. Je monte à bord, referme la verrière, quitte mes gants malgré le froid, allume ma frontale rouge et procède au rituel de la mise en route, mais en plus lent, en plus jubilatoire. Il s'agit de jouir de tous ces instants que peut-être sans en avoir conscience j'attends depuis que j'ai entamé cette qualif vol de nuit. Ça y est, le moteur tourne, comme une horloge. Je le laisse chauffer doucement.
Allez on bouge. Toujours lentement, on déroule les pneus dans la neige sèche, toute légère, je m'annonce au point d'attente, je sais qu'ils sont à l'écoute au club house. Il est 23h45. Je remonte la piste. Décollage en 02. Dernières vérifications, ça roule, nous voilà en l'air, l'avion et moi. Je vais d'abord voir les amis que j'ai laissés chez eux. Ils habitent un immeuble sur une colline à l'Est de la ville, je fais des appels de phare, j'ai le temps de voir des éclairs de lampe sur leur balcon et je monte vers le ciel.
La campagne enneigée, au clair de lune, c'est indicible. Je continue à monter vers l'Est, vers le Mont d'Or, la station de Métabief, les sapins. Je me gave d'images qui, je le sais, resteront indélébiles dans ma mémoire. Tout l'habitat est lisible, beaucoup plus que de jour, en densité de lumière. On voit la structure des lotissements, les entrées, les ronds-points, en lumière. Et l'immense surface noire des terres agricoles et des forêts.
Juste avant minuit, crachotements dans les écouteurs. "Bonne année Bernard !" me dit une voix féminine, l'une des pilotes qui font la fête au club, c'est trop sympa, je remercie chaleureusement. Et tout à coup le ciel s’embrase.
Je suis au-dessus d'un des nombreux hameaux semés autour du Mont d'Or. Et j'avais complètement oublié leur habitude de lancer des feux d'artifice le Jour de l'An à minuit pile ! Ça pète de partout, c'est magnifique et fichtrement inquiétant, je comprends l'angoisse des pilotes de guerre des années 40 quand les obus de la flak montaient vers eux ! Mais là, mon avion c'est juste du bois et de la toile nom de dieu !!! J'imagine une fusée d'artifice qui percuterait l'une des ailes pour y allumer les réservoirs d'essence. Plein gaz, la peur au ventre je monte tout en dégageant loin de ce qui me semble être le point de départ des fusées.
Je souffle, toujours en montée, en sécurité maintenant, je vois d'autres hameaux se joindre à la fête, ça gicle de toutes les couleurs, c'est beau, silencieux (surtout par rapport au moteur), c'est fabuleux. Je suis à 9000 pieds, au-dessus de la ville. Je vois Lausanne, la tache sombre du Léman, et les arcades d'Evian. Je les vois parce que je les connais, mais c'est impressionnant la précision de la vision malgré l'altitude.
L'année suivante à 0h15, après un arrondi très doux, les pneus du Régent caressent la neige. Je range l'avion comme on borde un enfant qu'on aime. Merci pour la balade mon grand. Je ne m'attarderai pas au club. Trop d'images dans la tête, trop de souvenirs déjà. Qu'aujourd'hui je suis content de partager…
Bernard Moro
Un témoignage de Jean-Yves Larnaudie : un tour à Saint-Geoirs
La plate-forme de Saint-Geoirs de nuit.
Finale à Saint-Geoirs. La piste est magnifique, ses lampes vertes pour délimiter le seuil 09, ses lampes rouges qui marquent la fin de piste 3km plus loin, les taxiways bordés de bleu.
Retour de Saint-Geoirs. On approche de la verticale de Moirans. Le bassin grenoblois est bien illuminé et au-dessus, on aperçoit même les pistes éclairées de Chamrousse !
L'agglomération grenobloise. Noter le Cours Jean Jaurès / Cours Saint André, l'une des plus longues avenues rectilignes de France, le Drac à droite, sombre, le stade de France, bien illuminé pour un match ... Wow.
Jean-Yves Larnaudie