Un vol bien ordinaire en février 2000, et pourtant ...

Tout était bien gris et humide ce samedi d’hiver. Le ciel d’abord. Le paysage ensuite qui n’offrait plus que des alternances de gris et de blanc. Probablement l’âme des pilotes l’était-elle aussi car rien ne vivait véritablement dans la salle du club. Même le bar où habituellement se reconstruit le monde et l’aviation en particulier ne présentait qu’un visage désespéré.

Sans doute un méchant rhume créait-il autour de moi cette atmosphère morose.

Christian est arrivé et on s’est rapidement convaincus que la matinée allait se terminer par un vol vers Albertville et son bar (la serveuse, vous vous souvenez ?). À ce propos, il semble que le nombre de vols vers Albertville ait récemment augmenté, mais c’est sans doute dénué de tout fondement.

Comme il était déjà 9h30 et que les avions sur le parking faisaient l’impossible pour séduire les pilotes en luisant sous la pluie de toutes leurs couleurs, on a quand même décidé de réveiller Paul. Les rendez-vous à 9 heures pour lui ça va à la rigueur en été, mais en hiver il ne faut quand même pas exagérer.

Alors on est quand même partis. On est montés doucement (le rhume bien sûr) et de toutes façons, vu le plafond, ce n’était pas la peine de s’exciter. On a mis à profit la vallée du Grésivaudan pour se raconter nos petites histoires de la semaine écoulée, sauf le pilote bien sûr, qui lui, vous vous en doutez, reste concentré sur sa tâche.

On a passé Albertville, sans se poser. Il ne faut pas exagérer quand même, cela finirait par devenir suspect. On a juste fait une annonce de routine pour dire qu’on était là.

Le ciel était vide et silencieux. C’est pourtant là qu’a surgi de nulle part un grand bimoteur argenté, couleur du ciel, qui silencieusement nous a dépassés puis s’est hissé en tournant vers les cols comme un grand oiseau qui, fuyant l’hiver, aurait recherché le soleil d’Italie.

On a continué. Ugine, tout en bas dans un trou. On est montés un peu, il le faut bien pour survoler Megève qui n’offrait rien à voir que les taches noires des chalets sur la neige et le long serpent des routes déneigées. St-Roch-Mayères ensuite, dissimulé sous le tapis blanc et pour longtemps maintenant. On a plongé, un peu, pour voir Sallanches et aussi parce que de toutes façons les nuages en avaient décidé ainsi. Le long ruban de l’autoroute ensuite que le froid n’engourdit jamais et qui semblait être le seul signe de vie dans tout cet univers.

C’est par là qu’on a retrouvé les couleurs qui semblaient avoir disparu du paysage. Bien timidement elles sont apparues. Un peu de vert, puis du marron, puis davantage encore au fur et à mesure que l'on approchait d'Annemasse.

Même le vent s’est réveillé, et vigoureusement, comme pour signaler qu’il était temps d’en terminer avec les rêveries. Alors, on s’est à nouveau pris au sérieux d’autant plus que l’on voulait faire une arrivée par la 12 main gauche normalement réservée aux locaux en instruction vol basse hauteur. Et comme ce jour-là le vol basse hauteur semblait présenter beaucoup d’attraits pour les élèves, au moins comme cela on tournait dans le même sens que tout le monde.

Un café au bar bien sûr, toujours aussi « cosy ». La Suisse n’est pas loin et ça se sent.

On est repartis. Travers Annecy. Un bonjour au contrôleur qui semblait assez facilement faire face au trafic d’un unique avion en tour de piste, loin en-dessous de nous, et on a poursuivi. Le lac. Tout gris, avec seulement les risées du vent. Les bateaux doivent se serrer dans les ports car on n’en voit aucun. On poursuit. Chambéry. Tout y passe. Contact radio, transpondeur, points de report.... Echo Alfa (le port). Coup de chance, on va faire une arrivée directe par le lac. Pour nous, c’est une des plus belles arrivées que l’on connaisse. En plus, on a droit au balisage lumineux. Posés. Changement de pilote. On repart.

Un coup d’oeil sur le terrain de Challes où rien ne se passe puis quelques photos de Fort Barraux au passage. Des vignes, beaucoup de vignes. C’est étonnant comme on les remarque bien mieux en hiver. Le Touvet et son château, sans oublier de surveiller les éventuels parapentes dont les voilures multicolores viennent souvent illuminer le paysage. Mais là, comme ailleurs, rien ne semblait voler ce jour là.

Alors, on a décidé de se poser, lentement, en laissant l’avion planer longtemps et en ne touchant les roues que le plus tard possible. On l’a rentré bien sûr, mais on étaient sûrs qu’il était content d’être un peu sorti ce jour là. Nous aussi. Pourtant, ce vol là, on a bien dû le faire déjà quelques dizaines de fois. Allez comprendre !

René CLÉMENT
Photos La Triade

Au fait, connaissez-vous le Fort Barraux ?